Dans une interview accordée à Motorsport.com et menée par Roberto Chinchero, Toto Wolff a livré une vision claire et structurée de la stratégie de Mercedes pour les saisons à venir. Entre la gestion de l'après-Hamilton, la promotion d'Andrea Kimi Antonelli, les débats autour de la réglementation moteur et les enjeux politiques de la Formule 1, le directeur d'équipe autrichien s'est exprimé avec franchise, tout en insistant sur l'importance de la stabilité.
Wolff a confirmé que le choix d'Antonelli comme futur pilote titulaire avait été déclenché immédiatement après le départ de Lewis Hamilton. "Absolument. Avec tout le respect pour les douze années que nous avons vécues ensemble, et pour l'amitié et le succès que nous avons eus avec Lewis, dès qu'il m'a communiqué ses intentions, j'ai tout de suite pensé à qui serait le prochain pilote à monter dans la voiture. Il y a deux écoles de pensée dans ces cas-là : on prend un risque en misant sur un jeune pilote que l'on estime capable d'être à la hauteur, ou on fait un choix plus conservateur, on va sur le marché et on choisit celui qu'on pense être le meilleur parmi ceux disponibles."
Il a ajouté : "Un autre aspect a aussi pesé dans les évaluations. Mettre Kimi dans une autre équipe pour qu'il acquière de l'expérience, comme chez Williams, cela aurait signifié le céder pendant au moins deux saisons, et je ne voulais pas m'engager aussi longtemps. En plus, même si nous avions trouvé une équipe prête à accueillir Kimi pour une seule saison, quelle motivation aurait un pilote à venir chez Mercedes pour un an ? Ce sont les réflexions que j'ai eues dans les minutes qui ont suivi la sortie de Lewis de mon bureau."
La décision a été collective, même si Wolff a tenu un rôle moteur. "Évidemment, Ola Källenius (CEO de Daimler), Markus (Schäfer, membre du conseil d'administration de Mercedes), puis le groupe de travail, Gwen (Lagrue, responsable du programme junior Mercedes), James Allison et Bradley Lord. Et bien sûr moi. Même si j'ai une vision bien arrêtée, je veux toujours qu'elle soit challengée, et c'était un échange vraiment intéressant, avec ses pour et ses contre."
Malgré des débuts délicats en Formule 2 pour Antonelli, Wolff affirme n'avoir jamais douté. "Non. La F3 et la F2 sont des catégories complexes, il faut être dans la bonne équipe au bon moment. Nous n'avons jamais eu de doutes sur la vitesse, la personnalité et les valeurs de Kimi. Nous savons qu'il a besoin de temps, son processus de croissance a été très rapide. J'ai toujours été convaincu que 2025 serait le bon moment pour faire le saut, car la saison suivante le règlement technique va changer, et nous voulons qu'il arrive à cette échéance avec une année d'expérience dans les jambes."
À propos de George Russell, dont le contrat arrive à échéance, Wolff n'a pas laissé place au doute : "Oui, absolument, je veux dire que c'est presque un secret… comment dit-on ? Un secret de Polichinelle. Nous avons l'intention de confirmer nos pilotes sur le long terme, les choses vont dans la bonne direction." Et de rappeler le rôle central de Russell dans la dynamique actuelle de l'équipe : "Ce n'est certainement pas nous qui le sous-estimons. C'est un pilote top et nous avons de la chance de l'avoir dans l'équipe. La décision de prendre Kimi dans l'équipe est aussi venue du fait que nous savions que George serait le point de référence, nous savions qu'il nous dirait où en était la voiture, et évidemment il est le point de repère pour Kimi."
Revenant sur son arrivée en pleine transition pour Mercedes, Wolff a reconnu : "Exact, on s'attendait à autre chose. Mais nous avons pu constater la valeur de George dans la comparaison avec Lewis. On parle clairement d'un pilote de haut niveau."
Sur le dossier moteur, et les rumeurs autour d'un retour à des V10 atmosphériques, Wolff a dénoncé une manœuvre intéressée. "Probablement qu'il y a quelqu'un qui craint de ne pas avoir atteint la compétitivité qu'il espérait. C'est la même chose qui s'est produite en 2014. Maintenant qu'on en arrive à finaliser les moteurs que nous utiliserons l'an prochain, je pense que certains ont peur de ne pas avoir un bon produit, et c'est pour cela que l'idée du V10 ressort soudainement, c'est une action ciblée. Mais cela étant dit, nous, chez Mercedes, sommes toujours ouverts à la discussion sur ces sujets."
À la question "quel est le moteur du futur ?", il répond : "Est-ce un V8, un V10 ? Quel type de système hybride faut-il adopter ? Le carburant durable est clairement un point fondamental. Pour nous, un moteur atmosphérique ou turbo peut convenir, quel que soit le défi à relever, nous l'accepterons, à condition qu'il y ait une gouvernance appropriée pour mener à bien le processus décisionnel. Mettons-nous autour d'une table et confrontons nos idées, tous les motoristes apportent leurs propositions, et décidons de ce que nous voulons avoir après 2030."
Interrogé sur les discussions évoquant une réduction du cycle de vie des moteurs 2026–2030 à seulement trois saisons, Wolff a répondu avec fermeté : "Le risque existe de paraître peu fiable en tant que sport. Nous avons suscité l'intérêt d'entreprises comme Audi, nous nous préparons à lancer une nouvelle génération de moteurs à carburants durables, et soudain, on parle de réduire l'utilisation de ce moteur à trois saisons, contre cinq ans comme le prévoit le règlement. Je crois que la Formule 1 doit être un partenaire stable et fiable, capable de définir et de respecter le règlement. Si, avant même que les nouveaux moteurs ne fassent leurs premiers pas, on commence à parler d'un nouveau moteur, le risque existe de paraître peu fiable. Je suis convaincu que ces décisions doivent être prises en considérant les bénéfices à long terme pour le sport, au-delà du scénario d'une seule saison. Il doit y avoir une stratégie à long terme et tout le monde doit avancer dans la même direction."
Concernant l'accord Concorde renouvelé jusqu'en 2030, Wolff s'est félicité de l'unité affichée. "Je pense que c'est un grand succès pour la Formule 1. Nous avons trouvé une vision commune jusqu'en 2030, les onze équipes ont signé, y compris Cadillac. Ils ont très bien exprimé leur position en dialoguant avec les autres équipes, et ils sont convaincus de pouvoir apporter quelque chose au monde de la Formule 1. Donc oui, nous sommes onze équipes et nous avons maintenant un plan commercial, c'est un pas très positif."
Quant à la W15, les premiers enseignements sont prudents. "C'est une plateforme plus stable. L'an dernier, l'arrière était notre point faible, et l'avant notre point fort. Désormais, les deux vont de pair, mais nous ne sommes pas encore satisfaits de la largeur de la fenêtre de fonctionnement, nous voulons qu'elle soit un peu plus large. Pour le moment, c'est encore difficile de trouver la bonne stabilité, nous passons encore de leader d'une séance à la sixième place lors de la suivante. Mais il faut aussi dire que cela arrive à beaucoup d'équipes, et peut-être que ce sera comme ça toute l'année."
Sur les nouvelles technologies de récupération d'énergie qui feront leur apparition en 2026, il a tempéré les inquiétudes : "Les gens ne verront aucune différence. Nous aurons des solutions aérodynamiques innovantes, mais contrairement à ce que l'on pense, la recharge en fin de ligne droite existe déjà aujourd'hui. Une F1 n'accélère pas jusqu'au bout des lignes droites, nous avons une courbe de vitesse qui s'aplatit à la fin des lignes droites, et c'est très différent de ce qui se passait il y a dix ans. Je pense que ce sera pareil dans les prochaines années. Aujourd'hui il y a beaucoup d'alarmisme sur la façon dont fonctionneront les nouveaux moteurs, mais la F1 a toujours apporté les bonnes solutions, donc je n'ai aucun doute : ce sera spectaculaire comme toujours."
Enfin, Wolff a démenti les rumeurs autour d'une potentielle retraite liée à une éventuelle candidature de sa femme, Susie Wolff, à la présidence de la FIA. "Moi, prendre ma retraite ? Pourquoi pas ? Je plaisante, pas encore, peut-être un jour, quand Jack (son fils) commencera à faire les choses sérieusement dans les catégories juniors, qui sait. En ce qui concerne Susie, il ne s'est rien passé. Nous sommes une famille d'entrepreneurs, elle est concentrée sur le développement de la F1 Academy et je ne pense pas qu'elle ambitionne un rôle de représentation, aussi honorable que soit la présidence de la FIA."
Il a conclu en saluant le renouvellement de Stefano Domenicali à la tête de la Formule 1. "C'était une nouvelle très importante. C'est une bonne personne, il a toutes les bonnes valeurs, un bon sens commercial, il est brillant avec les promoteurs et il ne tolère pas les conneries. La stabilité que nous offre sa présence pour cinq années supplémentaires est vraiment une bonne nouvelle. Le sport a besoin de stabilité et d'une direction claire, et il est en train de la fournir."